A ma mère - Dédicace
A ma mère
Dédicace
I
Prends-le, Mère, je te le livre,
- L'oiseau revient au même toit...
Tu l'as vu naître, l'humble livre,
Je te le rends, il est à Toi!
J'ai mis entre ses pages blanches
La douceur tendre de ton front,
Les pitiés de tes lèvres franches,
Quand sur lui tes yeux pleureront.
Tous ces chants, calices timides
Que j'ai recueillis sur tes pas,
Dans cette gerbe aux fleurs humides,
Dis, ne les reconnais-tu pas?
Les uns sont nés de ton sourire,
Les autres sont pleins de ta voix,
Car, il m'est doux de te le dire,
Je chante mieux quand je te vois.
Entre tes mains je l'abandonne
Ce livre que ton coeur défend:
Un amour de mère pardonne
Tous les sanglots de son enfant.
Sois donc son ange tutélaire
Pour l'accompagner en tous lieux,
Et que son avenir s'éclaire
Au chaud soleil de tes chers yeux!
Ce livre de ma peine amère
Se donne à tes soins réchauffants:
Car il faut toujours une mère
Pour bercer les petits enfants.
II
Mère, devant toi je m'incline
Et je courbe mon front pâli
Comme sur la verte colline
Où mon père est enseveli.
Ah! si le monde calomnie
Ce livre où mon coeur prend l'essor,
S'il blesse par son ironie
Le cygne blanc qui chante encor;
Comme aux jours de ma tendre enfance
Pour m'épargner une douleur,
O ma mère, prends ma défense
Et console ta pâle fleur.
Si je suis comme une hirondelle
Dont le chant demeure incompris,
Protège mon amour fidèle:
Car c'est de toi que je l'appris!
Près de dévoiler ma pensée
Aux regards du monde moqueur,
Je viens, avant la traversée,
Me réfugier sur ton coeur.
Que ta main, de larmes mouillée,
Mère, comme aux jours d'autrefois,
Sur ton enfant agenouillée
Fasse le signe de la croix.
Sous les étoiles (1890).
|
|